/De René Major, a proposta de um Instituto de Altos Estudos em Psicanálise

Préambule

Le projet d’un Institut des Hautes Etudes en Psychanalyse s’inscrit essentiellement dans la suite du souci formulé par Freud dans La question de la Laienanalyse de voir la psychanalyse, en tant que discipline capable d’éclairer tant d’autres pratiques qui occupent le champ culturel, se doter des moyens de formation intellectuelle les plus appropriés en incluant l’étude des différentes sciences de la nature et de l’esprit qui concourrent à la connaissance de la psyché. Ce projet a pour ambition de donner son plein statut à la psychanalyse en la dégageant des aléas de tous ordres qui l’assimilent à d’autres pratiques ou rendent ses enseignements dépendants de la portion congrue qui leur est consentie en divers lieux académiques.

Le retard pris dans l’actualisation et la mise en œuvre du projet freudien se fait d’autant sentir que, face aux pressions sociales et politiques qui s’exercent dans divers pays visant un encadrement ou une réglementation des diverses formes de psychothérapie, les psychanalystes français dans leur ensemble ont particulièrement saisi l’urgence de faire valoir aux pouvoirs publics, qui auraient eu tendance à assimiler leur pratique à l’une de ces psychothérapies, la spécificité irréductible de la psychanalyse comme étude des processus psychiques inconscients qui se manifestent aussi bien dans le champ culturel, politique, social, et dans les sciences du vivant en général, qu’à travers leur inscription singulière dans l’histoire individuelle qui peut donner lieu à une clinique psychanalytique comportant des effets thérapeutiques. La question qui se pose aux pouvoirs de l’Etat est de reconnaître une formation qui relève à la fois du public – de la formation académique comportant un niveau de connaissances et de culture qui lui sont spécifiques – et d’institutions privées qui sont seules en mesure de définir les critères de cette reconnaissance qui impliquent d’avoir poursuivi une analyse à titre personnel – ce qui échappe à tout contrôle étatique –, d’avoir pratiqué des analyses de contrôle, participé à des séminaires et à des travaux témoignant d’une compétence. Les psychanalystes ainsi qualifiés peuvent avoir appartenu ou continuer d’appartenir à une association psychanalytique reconnue. D’autres satisfont aux mêmes critères rigoureux sans appartenir à une Société d’analystes ou en participant aux activités de diverses associations.

Ce projet ne vise aucunement à créer une nouvelle association psychanalytique. Il entend, au contraire, faire participer chacune des associations existantes ou à venir à un projet commun qui soit d’assurer la spécificité, l’autonomie et l’indépendance de la psychanalyse dans son rapport aux autres champs de la connaissance et de lui donner la place, pleine et entière, qui lui revient aujourd’hui dans le champ culturel. Les associations psychanalytiques, qui assurent la transmission de l’expérience analytique, sont tout autant parties prenantes dans la reconnaissance que la discipline, comme telle, mérite d’avoir dans le champ social, au même titre que d’autres disciplines plus anciennes. En ce sens, l’Institut qui est proposé est complémentaire de l’Université ou supplémentaire, post-universitaire. Il est aussi complémentaire de l’enseignement dispensé dans chacune des associations psychanalytiques. Celles-ci offrent en effet à leurs membres la possibilité de poursuivre une recherche au sein d’un groupe qui partage souvent les mêmes références théoriques, le même idiome au sein de la langue psychanalytique. L’Institut devrait pour sa part refléter une image plurielle de la psychanalyse dans la diversité de ses composantes et favoriser dans la transversalité la confrontation de ses différents discours.

Si dans les rapports que la psychanalyse est amenée à entretenir avec l’Etat, tout en préservant sa part de non-rapport ou d’extraterritorialité, elle ne peut et ne doit se départir de ce qui peut la relier au Ministère de la Santé, elle devrait établir aussi des liens avec les Ministères de la Recherche, de la Culture, de l’Education et des Affaires étrangères pour des raisons qui sont inhérentes à la spécificité de l’apport de la psychanalyse dans le champ culturel, social et politique. La pensée psychanalytique qui s’est élaborée de façon privilégiée en France, depuis Freud, connaît une diffusion à l’étranger qui l’associe au rayonnement de la culture française.

La pluridisciplinarité inhérente à ce projet implique que s’associent aux psychanalystes des chercheurs des autres disciplines qui entretiennent un rapport avec ce que la psychanalyse a inauguré comme révolution en prenant en compte la dimension de l’inconscient qui informe toute activité de pensée et de création.

A l’attention des psychanalystes, il faut signaler que le texte qui suit, et qui est soumis en un premier temps à leur réflexion, est destiné à être présenté aux pouvoirs publics et aux chercheurs d’autres disciplines qui voudront bien s’associer à ce projet. Sa lecture doit en tenir compte.

Institut Des Hautes Études En Psychanalyse

1. objectifs et principe régulateur

Le projet d’une fondation nouvelle pour la pratique, la pensée et la recherche qui se sont développées depuis un siècle au nom de la psychanalyse est né de la prise en considération de trois constats dont la lecture s’impose aujourd’hui :

1) Nombreux sont les domaines de recherche qui comptent désormais avec ce que l’étude de la vie psychique inconsciente a pu apporter comme contribution au savoir, que ce soit en histoire, en sociologie, en ethnologie, en linguistique, en philosophie et en littérature, mais aussi pour les sciences du vivant, pour le droit, l’éthique et le politique. Une transformation à venir du droit, de l’éthique et du politique, si cruciale pour tant de questions nouvelles qui se posent à la société actuelle, implique la prise en compte du savoir psychanalytique. Réciproquement, la pensée psychanalytique doit pouvoir se mesurer aux nouveaux défis que posent aussi bien les nouvelles symptomatologies individuelles ou sociales que les nouvelles formes de fanatisme religieux, de violence et de cruauté, ou de domination économique et politique.

2) Au regard des questions pressantes qui se posent à la psychanalyse concernant à la fois sa laïcité et les multiples champs de son extension qui la questionnent en retour, il est urgent de penser et de réaliser, en vue de la formation académique des futurs psychanalystes, ce que Freud appelait de ses vœux dès 1927 sous le nom de Psychoanalytische Hochschules. Ces « Ecoles supérieures » ou « Hautes Ecoles » psychanalytiques devraient avoir des programmes d’enseignement et de recherche qui associent à la transmission du savoir psychanalytique, lui-même remis en cause par l’expérience de l’analyse, des connaissances des sciences de la vie, de la philosophie, de la linguistique, de la philologie, de la littérature, de la sociologie, de l’anthropologie, de la mythologie, de l’histoire de l’art, des religions et des civilisations. La psychanalyse doit être en constant questionnement de ces disciplines, tout comme elle doit se laisser questionner par elles.

3) Bien que depuis une trentaine d’années la psychanalyse ait pris rang à l’université, sous des formes diverses dans différents pays, elle n’a pas acquis la place qui lui revient véritablement. Sans compter que des disciplines diverses, sous le couvert de conceptions plus positivistes, tentent d’affadir, sinon d’abolir, l’essentiel de la révolution permanente que la psychanalyse instaure dans le champ du savoir. Les institutions non universitaires en France, telles que le Collège de France ou l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, n’ont, pour leur part, pas encore reconnu la psychanalyse comme une discipline devant figurer, en tant que telle, dans leurs programmes. Seul le Collège international de philosophie créé en 1983 a pu le faire, progressivement, en lui consacrant l’une de ses intersections.

Après un siècle d’existence et dès lors que la psychanalyse a avéré la fécondité de sa méthode et des recherches qu’elle poursuit dans la compréhension des processus psychiques inconscients – que ce soit dans la pratique spécifique qu’elle assure ou dans la réflexion qu’ elle apporte aux nécessaires transformations à venir de l’éthique, du droit et du politique – il est légitime qu’elle puisse disposer d’un lieu de recherche et d’enseignement qui lui soit propre et où puisse s’exercer pleinement le questionnement qu’elle soutient dans son rapport aux autres sciences humaines. Un tel lieu serait propice à la fois :

1) à la plus exigeante formation intellectuelle des psychanalystes telle que Freud en posait la nécessité,

2) à la recherche pluridisciplinaire qui prend en compte les avancées irréductibles de la psychanalyse,

3) à l’exercice de l’interrogation la plus aiguë sur les problèmes actuels de la société qui engagent la responsabilité citoyenne.

L’Institut des Hautes Etudes en psychanalyse devrait pouvoir s’assurer la collaboration des Ecoles de psychanalyse existantes et la participation de ceux qui enseignent dans les universités ou dans les autres institutions qui se sont formées en marge de l’université. Toutefois, cette nouvelle institution doit pouvoir se donner un statut qui, tout en étant celui d’un établissement qui ait la capacité de recevoir des subventions privées ou collectives, assure son indépendance aussi bien par rapport aux pouvoirs publics que vis à vis de toute autre collectivité, de sorte qu’elle puisse maintenir l’exigence inconditionnelle qui sera la sienne d’interroger et d’analyser tout ce qui arrive aujourd’hui à l’Etat, aux structures de pouvoir, aux sociétés, aux institutions quelles qu’elles soient. Cette exigence devra s’exercer avec la même vigilance dans un questionnement constant du fonctionnement lui-même de l’Institut des Hautes Etudes.

Si nous choisissons ce nom parmi d’autres qui ont pu être envisagés, comme École supérieure de psychanalyse ou Faculté de psychanalyse, c’est pour éviter toute confusion qui pourrait être faite soit avec les écoles ou sociétés de psychanalyse soit avec l’université. Les écoles ou sociétés de psychanalyse sont des institutions privées qui assurent la formation des analystes, selon des critères qui leur sont propres, et qu’aucun organisme public ne peut assumer. Elles jouent un rôle indispensable même si aujourd’hui en France le trajet de chaque formation est plus complexe qu’il n’était autrefois, que nombre d’analystes ont connu et fréquenté des écoles différentes et, tout en ayant acquis une formation rigoureuse, ne sont pas forcément inscrits à l’une ou à l’autre. Les membres, que ces écoles ou sociétés reconnaissent, trouvent l’occasion de confronter leur expérience et de développer une élaboration théorique et un enseignement qui ont pleinement leur raison d’être. L’université, quant à elle, a pu faire place à quelques départements de psychanalyse, souvent marqués par une école exclusive de pensée. Ces départements connaissent aujourd’hui, malgré les qualités et la compétence de ceux qui y dispensent leur enseignement, des difficultés qui sont inhérentes au contexte dans lequel ils se trouvent. Il s’agit donc, dans notre projet, de tout autre chose qui corresponde enfin, à ce qui était jugé comme le plus pertinent par Freud lui-même pour la formation académique des psychanalystes et aujourd’hui pour la contribution réciproque de la pensée psychanalytique et de celle des disciplines affines à la compréhension du malaise dans le champ de la culture, du social et du politique.

On comprendra dès lors que le statut de cet Institut soit moins aisément saisissable que celui des institutions privées ou publiques dont il vient d‘être question. Il ne peut qu’être mi-privé mi-public, ne relevant ni strictement du privé ni purement du public. Le lieu de son institution doit pouvoir se démarquer des rapports classiques entre l’Etat et la société civile pour pouvoir interroger de façon critique ces rapports, tout comme ceux du public et du privé qui nécessitent de nouvelles définitions. Que l’Etat doive imposer des normes à la recherche et à l’enseignement dans les lieux qui relèvent directement de son autorité ne fait aucun doute, tout comme doit être préservé l’espace privé tel que la pratique de la psychanalyse en assure le lieu de la plus grande liberté de parole. Mais la possibilité de conserver une fonction critique et de ne pas limiter la fécondité de ses recherches doit donner aux Hautes Etudes une liberté absolue à l’égard de tout partenaire public ou privé. Cette liberté comporte comme corollaire la nécessité aussi absolue pour l’Institut de rendre compte de ses travaux et de les soumettre à la critique. Ce qui n’ira pas sans l’établissement de nouveaux protocoles d’évaluation du travail d’un tel Institut. Le genre nouveau d’une telle institution pose en principe qu’un Etat démocratique puisse avoir des devoirs à l’égard d’un espace de pensée et de questionnement gardant une telle liberté qui est la condition même de l’existence de la psychanalyse. On pourrait s’étonner de cette exigence de la psychanalyse si on ne concevait pas que l’idée même d’un Etat démocratique doive être assortie de la garantie de la liberté de l’opinion et de la presse sans que l’Etat puisse en contrôler les effets critiques. Ce n’est pas seulement le devoir, c’est aussi l’intérêt de l’Etat de favoriser un espace de pensée et de recherche où la psychanalyse se propose de confronter ses avancées à celles de la philosophie et des sciences, d’interroger les usages et les conséquences de ces sciences et des nouvelles techniques qu’elles mettent en œuvre, des programmes socio-économiques qui les accompagnent, des problèmes éthico-juridiques qu’ils soulèvent aussi bien que de questionner sans relâche sa propre démarche, les protocoles dont sont faits sa pratique et son évolution, les institutions qui veillent à la transmission de sa méthode et le rapport de non-rapport à l’Etat qu’elle entend préserver. L’inconditionnalité de cette interrogation doit pouvoir être indépendante de toute conjoncture politique. Elle entraîne en retour sa propre évaluation selon les critères les plus exigeants. Un Etat démocratique ne peut que se flatter d’abriter un espace d’une telle liberté exigeante qui ne peut que favoriser le rayonnement de la culture qu’il dispense.

La vocation spécifique de l’Institut est l’étude des processus psychiques inconscients tels qu’ils impriment leurs déterminations sur la vie individuelle, sociale et politique, et tels qu’ils nous sont aussi connus par l’étude de l’histoire, de la littérature, des religions et des peuples.

L’inconscient entretient un rapport privilégié à la langue par laquelle ses effets se manifestent. S’il a d’abord été déchiffré, avec les lois qui le gouvernent, dans la langue de son fondateur, Sigmund Freud, dans le creuset culturel si fécond de la Vienne du début du vingtième siècle, les recherches et travaux, auxquels cette découverte révolutionnaire a donné lieu, se sont ensuite développés dans les pays de langue anglaise, en raison notamment de l’exil de Melanie Klein et de Anna Freud. Mais la psychanalyse a incontestablement connu un essor et un renouveau tout particuliers grâce à l’enseignement de Jacques Lacan en France. Si bien qu’aujourd’hui, dans de nombreux pays, la pensée psychanalytique et les recherches auxquelles elle ouvre dans plusieurs domaines s’accompagnent d’une réaffirmation et d’un rayonnement de la francophonie.

Les psychanalystes français sont connus pour l’intérêt passionné qu’ils portent à leur langue et leurs écrits connaissent une importante diffusion à l’étranger. Ce qui n’exclut nullement, bien au contraire, l’intérêt que nous portons à la langue de l’autre, aux autre langues et aux questions liées à la traduction qui sont indissociables de notre pratique et de notre recherche théorique. Le rayonnement de la langue française à travers la psychanalyse a d’ailleurs été reconnu par l’Agence universitaire de la francophonie qui, sous l’impulsion de son recteur, Madame Michèle Gendreau-Massaloux, a souhaité héberger le site et la cyber-revue des Etats Généraux de la Psychanalyse. Nous avons pu constater que des praticiens et des chercheurs d’une cinquantaine de pays consultaient régulièrement ce site dont la principale langue est la langue française mais qui accueille également d’autres langues. Il est à prévoir que dès sa fondation l’Institut reçoive des demandes de stagiaires étrangers. Sa vocation est d’ailleurs d’emblée internationale et il pourra s’assurer dès le départ la collaboration de chercheurs d’autres pays. Cette initiative devrait intéresser au premier titre la nouvelle communauté européenne, la façon dont elle doit penser et dépasser les déterminations qui conditionnent ou hypothèquent son avenir.

2. Organisation

L’institut des Hautes Etudes en psychanalyse sera organisé, en fonction des objectifs établis, en plusieurs intersections :

1. psychanalyse / psychanalyse

Cette section se préoccupera des questions intrinsèques à la psychanalyse : à la clinique et à son évolution, aux apports de Freud, Lacan, Klein, Winnicott, Bion, aux écoles qualifiées de « hongroise », « américaine »ou autres et aux travaux contemporains ; aux questions liées à la formation des psychanalystes, aux processus de validation de cette formation ou de légitimation (concept dont les présuppositions et les limites exigent le questionnement analytique) et à la reconnaissance que peuvent donner les écoles ou instituts psychanalytiques ; aux problèmes que pose l’institution analytique comme telle ou la non-institutionnalisation de la psychanalyse. Etant donné les travaux encore dispersés qui peuvent permettre une véritable confrontation des savoirs acquis dans les différentes écoles, l’Institut devrait être un « carrefour » de circulation de ces savoirs, un lieu aussi d’archivation (directement – ou indirectement par sa mise en rapport avec les sociétés d’histoire existantes) qui favorise les études sur l’histoire de la psychanalyse.

2. psychanalyse / médecine, psychiatrie

Outre les connaissances de base en médecine et en psychiatrie qui pourront faire l’objet d’un enseignement pour les analystes non-médecins, il importera de questionner le concept même de santé, physique ou mentale, les notions aux limites incertaines de « normal » et de « pathologique » (Georges Canguilhem) qui ont inspiré les travaux de Michel Foucault et « la naissance de la clinique ». On examinera en quoi la clinique psychanalytique se distingue de la clinique médicale et de la clinique psychiatrique, quels rapports la psychanalyse a entretenu avec elles dans le passé et quels peuvent être leurs rapports aujourd’hui. On sera aussi attentifs à ce que la réflexion psychanalytique peut apporter à toute sorte de problèmes qui se posent actuellement et se poseront à l’avenir au sujet des prothèses et greffes d’organes, des manipulations génétiques, du clonage humain.

3. psychanalyse / philosophie

Jacques Lacan n’a pas manqué de multiplier les explications de la psychanalyse avec la philosophie ; avec Platon, Aristote, Descartes, Kant, Hegel, Spinoza, Nietzsche, Wittgenstein, mais aussi avec ses contemporains, soit explicitement comme avec Ricoeur ou Heidegger, soit implicitement avec bien d’autres. Dans quelle mesure la conceptualité analytique reste-t-elle tributaire de l’histoire de la métaphysique ou s’en émancipe-t-elle ? Certains courants de la philosophie contemporaine (Heidegger, Wittgenstein, Levinas) continuent de nourrir la réflexion psychanalytique, même si ces auteurs ont paru rester éloignés de la pensée de Freud. D’autres philosophes ont pris la mesure des avancées de la psychanalyse (Lyotard, Badiou) et la questionnent en retour (Deleuze, Foucault) en lui apportant une contribution majeure (Derrida, Nancy, Lacoue-Labarthe), fût-ce en interrogeant parfois ses limites – sur sa doctrine de la vérité, son idéalisation de la lettre, ses mythes de l’origine – ou en la poussant dans ses retranchements – dans sa réflexion sur la violence sociale, la cruauté, le droit, la justice, ou encore sur ses propres institutions.

4. psychanalyse / linguistique – philologie

Qu’en est-il aujourd’hui du paradigme de recherche qui avait pris le nom de « structuralisme » en trouvant ses fondements dans le Cours de linguistique générale de Saussure ? Le programme qui s’était ouvert avec ambition dans le champ des sciences humaines, en couvrant aussi bien l’étude des mythes, des systèmes de parenté, des échanges symboliques que les anciennes catégories de la psychopathologie, a marqué diversement les travaux de Levi-Strauss, Dumézil, Barthes, Benvéniste et Jakobson jusqu’à ceux de Lacan dans le champ de la psychanalyse. Vinrent ensuite les changements de perspective introduits par la grammaire générative de Chomsky. Un retour à Saussure, via des inédits récemment parus, met en évidence les aspects épistémologiques de la réflexion saussurienne et la force (inconsciente) qui chez le sujet parlant produit le discours dans un certain rapport au système de la langue. Les travaux de Simon Bouquet, de Jean-Claude Milner et de Michel Arrivé serviront de guides au cours de cette recherche. D’autres chercheurs, comme Jacques Le Rider, ont étudié la langue de Freud, retracé son évolution, soulevé les différents problèmes que pose la traduction.

5. Psychanalyse / art, littérature

En leur reconnaissant une antériorité dans la connaissance de la réalité psychique, la psychanalyse a constamment pris appui dans la littérature et dans l’art pour étayer ses découvertes – de Sophocle à Shakespeare, en passant par Goethe, Leonard de Vinci, Edgar Poe, Proust, etc. La critique littéraire et la critique d’art trouvent aujourd’hui à leur tour dans les avancées de la psychanalyse une nouvelle source de réflexion. Qu’il s’agisse de Leiris, Bataille ou Blanchot, de Gilbert Lascault, Hélène Cixous, J. Hillis Miller, Ginette Michaud ou Geoffrey Bennington, leur écriture en porte fortement la trace. De nombreuses voies de recherche restent à explorer, parmi lesquelles celles qui ont été ouvertes par les travaux de Antoine Berman.

6. Psychanalyse / droit, éthique, politique

S’il s’agit de savoir aujourd’hui ce que la psychanalyse fait au politique, depuis « la psychologie des masses » de Freud jusqu’à l’analyse des pulsions de pouvoir et de souveraineté, il faudra interroger comment l’histoire, entendue au sens d’une pensée du politique, aura rendu possible l’avènement de la psychanalyse, c’est-à-dire d’un rapport à l’autre comme semblable et tout autre, de son droit à la parole et de l’hospitalité qui lui est réservée hors toute stratégie d’emprise ou de domination. On devra procéder à une indipensable relecture de La République de Platon et des Politiques d’Aristote, des Discours sur la première décade de Tite-Live et du Prince de Machiavel, du Leviathan de Hobbes, du Contrat social de Rousseau, mais aussi du Projet de paix perpétuelle de Kant, de La notion de politique de Schmitt, du Capital de Marx pour penser « la démocratie à venir » à laquelle la psychanalyse est associée et pour repenser avec Max Weber, Benjamin Constant, Tocqueville, Hannah Arendt, Lefort et Foucault les notions d’autorité et les relations de pouvoir.

La psychanalyse doit aussi prendre en compte l’histoire du droit et penser la place ou la référence qu’elle est amenée à occuper dans les transformations en cours qui concernent les droits de l’homme, les crimes contre l’humanité et la cruauté toujours à l’œuvre, individuellement et collectivement, au sujet de laquelle Freud en appelait à «la dictature de la raison ».

7. Psychanalyse / sociologie, anthropologie, mythologie

On sait que Lacan fut un lecteur attentif des pères de la sociologie française (Durkheim et Le Play) et de l‘anthropologie moderne (Mauss, Lévi-Strauss) et comment cette lecture aura marqué, pour un temps, une préséance du symbolique dans les structures de la famille et la prévalence du signifiant sur le signifié dans leur rapport d’inadéquation.

On peut considérer, par ailleurs, que Marx est le véritable père de la sociologie moderne dont Durkheim et Weber seront les interlocuteurs, chacun à sa façon. Un certain retour à la pensée de Marx ne s’avère-t-il pas indispensable face aux effets de marché d’une économie libérale et de la conception de l’homme qui est en cause ?

Qu’en est-il aujourd’hui du « déclin des passions politiques » pour reprendre le sous-titre de « L’invention du social » de Jacques Donzelot et quelle est la portée des travaux d’un Pierre Bourdieu ?

La mythologie de la Grèce antique a apporté une contribution majeure à l’étude de la psyché. Il importerait de comparer, par exemple, les différentes versions interprétatives du mythe et de la tragédie d’Oedipe selon Freud, Lacan, Jean-Pierre Vernant ou Jean Bollack.

8. Psychanalyse / histoire, religions, civilisations

On n’a jamais autant parlé des trois religions monothéistes : juive, chrétienne et musulmane. A l’histoire des deux premières, Freud consacra l’essentiel de son imposant travail L’homme Moïse et la religion monothéiste. Les multiples lectures qui en ont été faites n’en épuisent pas la fécondité. Elles méritent d’être reprises à la lumière de l’actualité comme elles pouvaient l’être à l’époque de la montée en Europe du national-soialisme. Peu de référence, toutefois, est faite à l’islamisme dans le travail de Freud. Des travaux s’y emploient aujourd’hui.

La lecture de Malaise dans la civilisation garde encore, aussi, toute sa portée. Mais comment pouvons-nous cerner les nouveaux contours du malaise qui s’exprime de façon violente dans diverses civilisations à l’heure où ce qu’on appelle « la globalisation » ou « la mondialisation » pose tant de questions ?

9. Psychanalyse / biologie, génétique, sciences du vivant

Si la psychanalyse est née d’un certain retour à l’Eros platonicien, d’une confirmation dans la tragédie ancienne et moderne de l’interprétation des rêves de Freud et d’une rupture avec la métaphysique du sens, la thérapie analytique aura marqué avec Freud, un écart de la neurologie et, avec Lacan, un écart de la biologie. Mais les progrès de la biologie, que Freud avait anticipés, et le décryptage du génôme humain amènent la psychanalyse à une nouvelle confrontation. Nombreux sont aujourd’hui les chercheurs dans le champ des sciences du vivant (tels François Jacob, Antoine Danchin, Henri Atlan, Francisco Varela) qui prennent en compte la valeur métaphorique des langages de la biologie et de l’hérédité et pour qui il serait difficile de soutenir encore que le sujet ne s’y trouve que sous la forme suturée. La représentation freudienne de l’acte psychique, comme facteur dynamique de transformation, se situe aux deux extrémités d’un processus dans lequel la structure physico-chimique des substrats biologiques se trouve intercalée comme solution aléatoire trouvée par l’auto-organisation du vivant. La pensée psychanalytique dessine aussi bien le chemin qui va de la métaphore au concept que celui qui implique la reprise du concept par la métaphore, celle du sens donné au monde.

10. Psychanalyse / médias

Il est désormais fait constamment appel aux «psychologues » ou aux « psychanalystes » dans les journaux et à la télévision pour recueillir leur avis sur les problèmes de la vie quotidienne ou de la société actuelle (violence à l’école et dans les banlieues, problèmes conjugaux ou familiaux , questions de procréation assistée ou d’adoption, couples homosexuels) quand ce n’est pour faire appel à leur compétence lorsque surviennent des catastrophes naturelles ou accidentelles. Quelle image produit-on de la psychanalyse dans le public ? A quelles conditions peut-elle ainsi s’exposer ? On examinera ce qui a pu se faire jusqu’à ce jour et ce qui peut être proposé à l’avenir, en se préoccupant de l’analyse des paramètres qui entourent sa mise en scène. Autrement dit : la psychanalyse peut-elle – et ,si elle peut, doit-elle – apporter sa contribution à une médialogie ?

On aura donné ici pour ces intersections certaines directions de travail. Elles ne sont nullement limitatives et pourront être complétées par d’autres propositions qui feront l’objet des directions de programme.

Chacune des intersections aura 5 directeurs de programme chargés de coordonner l’enseignement et la recherche au sein de son unité, de prévoir la tenue de séminaires et de colloques, de faire un bilan critique annuel et de proposer des travaux pour la publication.

Les intersections pourront se prêter concours entre elles pour organiser des forums, des débats, des controverses sur des questions d’actualité concernant des problèmes de société, des questions éthico-politiques et juridiques posées par les nouvelles technologies, les manipulations génétiques, l’ingérence d’un Etat dans la vie politique d’autres Etats et les nouvelles juridictions internationales, la terreur sous toutes ses formes et les nouvelles pratiques de la guerre. En faisant appel aux plus hautes compétences dans les domaines auxquels la psychanalyse est appelée à confronter le savoir qu’elle acquiert sur les déterminations inconscientes de la vie individuelle, sociale et politique, elle aura à cœur de préserver la singularité irréductible de son discours et de sa pratique.

3. Fonctionnement

L’ensemble des directeurs de programme constituera une assemblée collégiale qui élira un Conseil chargé de veiller aux orientations de l’Institut, à la qualité des activités qu’il soutient et au bon fonctionnement de ses intersections.

Un principe de non-sédentarité des directeurs de programme devrait en assurer le renouvellement périodique. Tous les cinq ans par exemple. Tous ceux qui auront exercé cette fonction pourront devenir des Amis de l’Institut auxquels il pourra être fait appel pour l’organisation des séminaires, forums et publications.

Il va de soi que pour la plupart des intersections les psychanalystes travailleront en collaboration avec des chercheurs venus d’autres disciplines qui comptent avec la psychanalyse de telle manière que leur recherche en porte l’empreinte.

Les activités de l’Institut s’exerceront dans toutes les régions de France où leur implantation sera possible et feront appel à des chercheurs venus de l’étranger. Il est à espérer que d’autres pays puissent s’inspirer de cette initiative pour mettre en œuvre le projet déjà formulé par Freud et qui n’a été à ce jour que partiellement ou épisodiquement réalisé.

4. Annexe

Un pluri-partenariat devrait permettre la mise en place de l’Institut des Hautes Etudes.

Le Ministère de la Santé devait être intéressé à la formation post-universitaire des psychanalystes. La qualité de leur formation et la valeur prophylactique de leur pratique quant à de nombreuses maladies sont de nature à réduire de manière importante les dépenses de santé que doit assurer la Sécurité Sociale.

Au Ministère de l’Education nationale, il sera demandé des décharges pour le détachement temporaire d’enseignants à l’Université.

L’Institut sollicitera le Ministère de la Recherche pour la mise à disposoition de locaux pour les séminaires, colloques et forums.

Les Affaires étrangères pourraient contribuer à favoriser certains déplacements à l’étranger liés aux activités de l’Institut.

Le Ministère de la Culture devrait être partie prenante de ce qui représente une avancée dans le champ qui lui est propre et contribue au rayonnement de la pensée française dans le monde.

Budget prévisionnel, pour la première année, comprenant les frais de secrétariat, d’impression des programmes et de gestion des directions de programme : 160.000 euros.